samedi 30 mai 2015

L'amour du métier ou l'amour des élèves ? Part. 1/3


Il y a un « Avant » et un « Après »

  En 1934 est publié le livre de James Hilton, Goodbye Mr Chips. Son succès a été immédiat à tel point qu’en 1939 est sorti le film du même titre. Le comédien Robert Donat incarne un professeur distant et impopulaire, qui devient, grâce à l’amour d’une femme, un professeur inspiré, forgeur de caractère pour ses élèves. Il a gagné un oscar pour ce rôle.


Sans connaître l'ouvrage, vous pourriez imaginer qu’il s’agisse d’une histoire pleine de bons sentiments, assez mélodramatique et peut-être idéaliste.

Et en effet, pour une grande partie, c’est le cas.

L'école britannique et la discipline victorienne

L’histoire se déroule à peu près à l'époque de Rudolf Steiner, entre les années 1870 et 1935. Elle donne, me semble-t-il, une vision plutôt juste d’une école de garçons, malgré une certaine idéalisation des relations sociales. Cela dit, il est vrai qu’on infligeait alors les coups de bâton à une classe entière, sur rendez-vous, et chaque garçon avait droit à son tour à ses 3 minutes.

La version télévisée de 2002 sonne plus juste en ce qui concerne la vie d’une école privée de garçons. Beaucoup moins romancée, et plus factuelle, elle n'édulcore pas les mauvais traitements réservés aux nouveaux élèves par les anciens, ni la sécheresse des relations entre les professeurs et le Directeur de l’école. Par rapport à l'histoire originale, le réalisateur s'autorise une certaine liberté artistique, qui ne dénature pas pour autant l’impact de l’histoire.

En revanche, dans toutes les versions, la façon d’être de ce professeur Mr.Chips sonne admirablement juste, que son rôle soit écrit ou joué.


Le fait de connaître l’amour et de se savoir aimé et accepté par une femme sans condition, change le regard de Mr Chips vis-à-vis de lui-même et de ses élèves.

L'amour serait-il une prise de conscience ?

En 1870, nouvellement nommé dans cette école en tant que professeur de latin, Mr Chips cache sa timidité et son mal-être derrière ses sarcasmes et use d'une autorité acerbe pour discipliner ses élèves. Comme il obtient de bons résultats, il prend le manque d’affection de ses élèves comme une marque de respect pour ses compétences ; il ne se rend par compte qu’il confond respect et peur. En se résignant à son lot de solitude et de vie sans affection, il reste un célibataire endurci.

Les années passent. Un beau jour, il découvre l’amour, ou plutôt l'inverse ! Le fait d'être aimé lui enseigne l'amour. Grâce à cette femme, il apprend à exprimer de l'affection pour son entourage. Bien sûr, comme cela se doit, il devient le professeur le plus aimé et le plus populaire de l’école. Redevenu célibataire après la mort soudaine de sa femme, il est nommé au poste de Directeur pendant la grande Guerre, à un âge bien avancé. Pendant le conflit, nombreux sont ses anciens élèves qui sont tués : il a la lourde tache d’en faire l’annonce chaque semaine à l’assemblée des élèves.

La bienveillance pour la liberté

Aujourd’hui, les élèves comme la plupart de leurs professeurs n’ont jamais vécu une telle guerre et il leur est impossible de ressentir ce que ressentaient les parents et leurs enfants. C’était en grande partie une des raisons pour laquelle Rudolf Steiner a accepté l’invitation d’Emile Molt à diriger la première école Waldorf Steiner à Stuttgart en 1919. Il s'agissait d’éduquer les enfants pour leur liberté individuelle, et non pas pour les besoins de la société.


Voici pourquoi la bienveillance était un des principes de son approche pédagogique, qui, par ailleurs ne s'opposait pas à la punition corporelle, ni ne l'encourageait non plus.

David Miller et Céline Bernard, mai 2015 

À suivre : 
L'amour du métier ou l'amour des élèves ?
2ème partie/3 - « Langage du corps, langage du cœur et langage de l'esprit »

mercredi 27 mai 2015

4 langues pour 1 livre - Interview vidéo de Susanne Peters



ND : Pourquoi vous joindre à ce projet ?

SP : Si j'ai accepté de travailler avec ce groupe, c'est pour les partages d'expérience. Il est en effet très important de proposer un guide à l'attention des enseignants qui n'ont pas de formation Steiner-Waldorf et qui sont amenés à enseigner dans une école Waldorf.

Disposer d'un tel ouvrage est pour ces enseignants débutants un réel appui et un soutien pour démarrer.


ND : L'avantage de travailler à plusieurs ?

SP : Pour moi, ce groupe est tout à fait pariculier. Il réunit 4 nationalités différentes, c'est à dire, 4 langues maternelles différentes et par conséquent 4 "mentalités" différentes. Travailler et avancer ensemble nous donne une certaine assurance.


ND : Quels moments forts ?

SP : Sans conteste, ce sont les moments où, depuis nos points de vue divers, nous pouvions tomber d'accord sur un point particulier : trouver des idées communes, une manière commune de les exprimer, une vision commune de nos expériences, voilà qui nous a vraiment donné accès à un contenu commun.

ND : Que représente le Vademecum ?

SP :Après plus d'un an de rencontres et de discussions, le projet de ce livre représente une réalisation commune qui a été menée jusqu'au bout.

Merci à Susanne Peters.


Interview : Nathalie Dubois, avril 2015

Montage, image et son : Sara Spigarelli

Transcription libre : Céline Bernard.

Vademecum, c'est "Viens avec moi" - interview video de Céline Bernard



ND : Pourquoi éditer ce livre ?

CB : Le projet du Vademecum m'a tout de suite plu, car j'aime beaucoup l'idée de diffuser un programme pour une pédagogie alternative qui comporte assez peu de documentation écrite.


ND : Les moments forts ?

CB : Pour moi, c'était au moment de réunir les contributions et de donner un fil conducteur, un fil rouge qui facilite la lecture.

ND : Pourquoi ce titre ?

CB : "Vademecum" signifie en latin "Viens avec moi" car il peut accompagner le professeur débutant ou expérimenté tout au long de l'année et aussi au cours des différentes étapes de sa carrière.

ND : Quelle sera la prochaine étape ?

CB : La prochaine étape est celle de l'édition, plus précisément de la diffusion : il s'agit d'expliquer ce qui a animé les auteurs du Vademecum. Maintenant, il est emps d'entrer en dialogue avec ses lecteurs que j'espère nombreux.

Merci à Céline Bernard.


Interview : Nathalie Dubois, avril 2015

Montage, image et son : Sara Spigarelli

Transcription libre : Céline Bernard.

jeudi 21 mai 2015

5 bonnes raisons pour ne pas avoir peur de parler de pédagogie

'La pédogogie Steiner' : ces 3 mots contiennent tellement de choses, de représentations, d'idées, de croyances...




Les formations dispensées en France sont une belle impulsion qui demande à être approfondie. Les professeurs d'expérience continuent de découvrir les intérêts des impulsions pédagogiques de Rudolf Steiner tout au long de leur carrière. A.D., eurythmiste, a déclaré lors d'une séance de formation à la pédagogie Waldorf, justement :

"Le plan scolaire est très juste. Chaque année, j'en mesure l'extraordinaire pertinence."
Pourtant, ce plan scolaire initialement pensé pour les élèves allemands et encore au stade d'élaboration du vivant de Rudolf Steiner, reste assez peu détaillé en France. Les disciplines n'ont pas de manuel. Le cursus existe, bien sûr, constamment renouvellé : chaque classe le réinvente sans qu'on puisse en consulter un exemplaire définitivement fixé.


Voilà pourquoi, à mon avis, les échanges et les contributions diverses au sujet de la pédagogie Seiner-Waldorf sont bienvenus.

Raison n°1 : Les propos tenus dans un livre/un blog/une publication engagent son (ses) auteur(s).


C'est une évidence. C'est aussi la raison pour laquelle les propos sont généralement signés.

Raison n°2 : Le droit d'auteur appartient à chacun : droit de créer, droit de répondre.


Quand un auteur publie un livre, les lecteurs bénéficient du droit de réponse, de critique, de commentaire. Internet permet l'instantanéité, mais même avec un livre, c'est possible grâce à d'autres moyens de communication. Rien n'est jamais parfait quand on est dans l'action.

Pour moi, un livre est toujours un "prétexte", dans les multiples acceptions du terme.

Raison n°3 : Un livre appartient à un espace-temps : ici et maintenant. 


Il est ancré (encré ?) dans une situation de communication précise, résultat d'une volonté partagée. Si on pousse ce raisonnement, tout livre est condamné à l'obsolescence ou à l'incompréhension, à plus ou moins long terme, par définition.

Raison n°4 : Toute pédagogie est en mouvement, et par conséquent en contradiction avec la relative fixité de l'écrit.


Les professeurs, les élèves, les parents, etc, évoluent. Parler de pédagogie, c'est évoquer des processus et non pas de résultats et essayer d'envisager des dynamiques et des possibles.

Raison n°5 : Faisons-nous confiance.


Il est évident que les enseignants ont des talents multiples, qu'ils subordonnent parfois (trop souvent ?) aux tâches et missions qui leur sont confiées. Dans une école Steiner, les professeurs sont souvent des artistes, ce qui est assez "bluffant".
 Dans toutes les écoles, il est urgent que chacun trouve comment se faire confiance à soi-même, et comment cultiver sa confiance dans le travail de ses collègues. Voici une des orientations à développer en priorité, à mon avis.


Vous souhaitant une bonne lecture du vademecum et pourquoi pas, une prochaine rencontre féconde à ce sujet,

Céline Bernard.


dimanche 10 mai 2015

Grande réforme des cursus de langues dans l'Education Nationale

On a plutôt l'habitude de distinguer les pédagogies. Il est clair que l'organisation des enseignements, voire leur finalité, présente d'importantes différences entre les écoles publiques et les écoles Waldorf. Mais les élèves appartiennent à une même société. Chaque classe d'âge est "poreuse" au sens où les uns et les autres s'influencent.

Voilà pourquoi il me semble intéressant de suivre l'évolution des cursus de langues dans l'éducation nationale.


Après une application relativement enthousiaste des directives de l'Union Européenne, qui ont conduit à la mise en place de certificats divers et à une réflexion de fonds sur les méthodes d'enseignement des langues "à la française", un net recul est dénoncé aujourd'hui par les enseignants qui devront appliquer dès la rentrée 2015 la réforme publiée tout récemment en avril.


Voici la pétition de mai 2015 qui expose les revendications des enseignants d'allemand :


Monsieur le Président de la République, Madame la Ministre de l’Education Nationale, Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères,

Nous attirons votre attention sur les conséquences désastreuses qu’aurait le projet réforme du collège présenté, non seulement sur le niveau de maîtrise des langues étrangères, mais aussi sur le nombre de germanistes en France.

Le saupoudrage d’heures d’enseignement des langues vivantes ne permet pas d’acquérir les automatismes indispensables à une bonne maîtrise de la langue : Pour progresser, il faut 3 heures minimum par semaine, que ce soit au collège ou au lycée !

Les engagements bilatéraux entre la France et l’Allemagne, réaffirmés par vous le 22 janvier 2013, doivent être respectés : la France manque de germanistes et l’allemand constitue un atout dans la recherche d’emploi et la construction européenne.

Sans les classes bilangues et les classes européennes de collège, vous condamneriez à terme les classes européennes de lycée, les sections Abibac, les échanges individuels et collectifs, ainsi que les efforts et l’existence même du Secrétariat Franco-Allemand pour les échanges en formation professionnelle, de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, de l’Université Franco-Allemande !

C’est pourquoi nous demandons pour l’avenir de la jeunesse de notre pays et pour la crédibilité de nos engagements internationaux :

1. Le maintien du dispositif bilangue tel qu’il existe actuellement avec au moins 3 heures hebdomadaires pour chaque langue, que ce soit pour assurer la continuité ou pour commencer l’allemand en 6°.
2. Le maintien du dispositif des classes européennes en collège avec une dotation fléchée de 2 heures hebdomadaires pour chacune des deux années de collège, avec un prolongement au lycée par un renforcement linguistique et une discipline non linguistique enseignée en langue vivante.
3. De ne pas généraliser la 5°LV2 à moyens constants, soit 2 heures hebdomadaires sur 3 ans au lieu de 3 heures hebdomadaires sur 2 ans - ce qui aurait comme effet que la langue soit moins bien maîtrisée qu’avec le système actuel !


Signataires :
Thérèse Clerc, Présidente de l’ADEAF
Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France 

 Dans ce contexte, encore plus crucial quand on connaît le nombre d'écoles Waldorf en Allemagne et la sensibilité des enseignants à cette pédagogie, la réflexion des écoles Waldorf françaises en direction de l'apprentissage des langues vivantes fait figure d'oasis dans un désert annoncé !

Je souhaite en tous cas à tous les spécialistes de langues d'être entendus quand ils demandent le renforcement des heures d'enseignement !

Céline Bernard.

lundi 4 mai 2015

Le "geste pédagogique" en question


On dit que, dans le système Steiner-Waldorf, chaque professeur est libre de faire comme il voit, comme il entend et comme il le ressent dans ses cours.

Cette liberté est possible tant que tout fonctionne bien,
et aussi tant qu’il est soutenu par ses collègues,
tant qu’il n’y a pas d’échos négatifs,
tant que les parents voient que tout se passe bien pour leur enfant,
tant que l’ambiance est bonne et que les échos sont positifs…
C'est une quadrature du cercle, quelque part.

On dit que la pédagogie Waldorf est la pédagogie de la liberté.

La liberté d'accord. Pour autant,cela ne veut pas dire que le professeur est libre de faire n’importe quoi, en principe !
Le bien-être du professeur joue en sa faveur et rejaillit sur ses élèves, sur ses collègues, sur leur entourage tout entier.


On dit qu'il faudrait être capable, le jour même, de prévoir l’état de ses élèves, -sont-ils calmes et attentifs, ou agités et déconcentrés ? avant de rentrer en classe.

Hélas ! C'est totalement impossible ! Cela dit, nous pouvons prendre l'image de la météorologie pour refléter l'atmosphère d'une classe. Aujourd'hui, il est plus facile de prévoir la météo de nos jours, de savoir si on a besoin de prendre un pull ou pas, un parapluie, des bottes ou des baskets qu’il y a 50 ans. Autrefois, les prévisions étaient peu fiables, tandis que l'ambiance de classe était plutôt stricte et prévisible.
Aujourd'hui c'est l'inverse.Pour citer les récents propos d'un professeur de classe, de plus de 20 ans d’expérience, : « Même si je connais bien chaque élève, avant de mettre les pieds dans la salle de classe, je ne sais pas ce qui va arriver.»


On dit que l'autorité se perd et qu'il faudrait revenir aux fondamentaux de nos pères, justement.

De nos jours, les professeurs, au contraire de leurs prédécesseurs d’il y a 50 ans, vivent une incertitude certaine, et sont parfois désorientés, autant que leurs élèves. Le temps est bel et bien dépassé de ‘rosser’ nos élèves pour assurer le calme et la sérénité de la classe ! C'est une solution simpliste et illusoire que d'enseigner sans imagination, sur la base d’un comportement très strict, sévère et borné, sous la menace de sanctions et d'une pédagogie sans créativité et dogmatique, relayée par des photocopies ou des manuels recyclés chaque année. Le professeur-oligarque face à des élèves respectueux, bras posés sur le bureau, en écoute concentrée est une image d'Épinal déconnectée de la réalité pédagogique, et a fortiori dans le système Waldorf Steiner.





Alors comment renouveler l'approche de l'enseignant, en fait le « geste pédagogique » ?



En un sens, il faut savoir faire confiance à cette dynamique collective qu'est l'école. Plus le cours s'inscrit dans un système bienveillant et ouvert, plus l'enseignant prend part à ce système et lui construit en même temps qu'il est accompagné dans sa pratique, plus il sera en mesure d'apporter à ses élèves une présence confiante, forte et aimante. Cette telle façon d'être positive aura, forcément, une influence, avec le temps, sur les élèves et leurs propres façons de se comporter.

David Miller et Céline Bernard